[LEPAGE] - Dictionnaire anecdotique des nymphes du Palais Royal et autres quartiers de Paris. Par un homme de bien.

[LEPAGE (Charles)]
Dictionnaire anecdotique des nymphes du Palais Royal et autres quartiers de Paris. Par un homme de bien.
Paris, chez les marchands de nouveautés, 1826
In-32° (111 x 72 mm), 127 pp., demi-veau brun, dos à nerfs orné de filet et roulettes (reliure de l’époque). 

Édition originale, exemplaire grand de marges (témoins en gouttière et en queue), de ce rare  « annuaire » des prostituées parisiennes. Les « nymphes » y sont présentées avec leur surnom, leur localisation, une description physique souvent cruelle et parfois un court aperçu de leur histoire. 

« Voyez-vous cette grande femme avec son bonnet de même taille ? eh bien ! c’est mademoiselle Louise. On dit qu’elle regrette beaucoup de n’avoir plus de dents, c’était l’arme dont elle se servait le mieux pour punir ceux qui, à juste titre, l’accusaient de grossièreté, de méchanceté, ou plutôt quand on lui disait qu’elle avait un entonnoir pour gosier. » (p. 64)

L’auteur soutient n’avoir fréquenté aucune des femmes mentionnées dans ce livre et se fier entièrement au bouche-à-oreille. Rassurant le lecteur sur ses intentions, il déclare avoir voulu effrayer, par ce guide, les jeunes gens à-même de sombrer dans le péché : « O vous que les destins ont rendus père, et qui craignez pour vos enfans, lisez-leur quelques passages de cet opuscules. Ils frémiront. » (p. x). Ce Dictionnaire n’en fut pas moins l’objet d’un procès pour outrage au mœurs et à la morale publique durant lequel on reprocha à Lepage « d’avoir appelé l’attention du lecteur sur des tableaux et des peintures lubriques, et d’avoir facilité le vice, en indiquant les noms et les adresses de ces prostituées ». La défense souligna l’absurdité d’une telle condamnation dans un pays où la prostitution est tolérée (« une copie aussi blême ne peut être coupable, lorsque ses originaux peuvent se promener insolemment en public »), concluant : « je demanderais que l’auteur fût condamné à lire pendant huit jours, matin et soir, son dictionnaire anecdotique tout entier, et je vous assure qu’il serait sévèrement puni. » (Gazette des tribunaux, 9 décembre 1826). Lepage l’emporta, s’engageant toutefois à détruire l’ensemble des exemplaires de l’ouvrage demeurés en sa possession, soit 6 à 700 exemplaires (Moniteur Universel, 17 décembre 1826)

Au lendemain de la Révolution, la prostitution, n’étant mentionnée dans un aucun des nouveaux textes de lois, connut en effet une période d’intense prolifération. Suivirent, au début du XIXe siècle, de nombreuses tentatives pour la réguler. Le Bureau central du canton de Paris rendit ainsi obligatoire l’enregistrement des filles de joie et les maisons closes furent soumises à de nouveaux contrôles. De pareilles mesures transparait la croyance de l'époque selon laquelle la sexualité dépravée de la femme (et sa vénalité) pouvait être désignée comme la cause principale de l’essor de la prostitution.

Ccfr : 2 exemplaires en France (BnF Tolbiac, Grenoble) ; OCLC : un exemplaire à l’étranger (Canada)

Bibliographie : Dailey, Victoria. « Pavement Nymphs and Roadside Flowers: Prostitutes in Paris After the Revolution », dans The Book Collector, LA Review of Books, Mars 2019. https://lareviewofbooks.org/article/pavement-nymphs/ ; on notera que c’est la découverte d’un exemplaire de l’ouvrage qui poussa Victoria Dailey à écrire cet intéressant article sur la prostitution parisienne dans la période post-révolutionnaire !

Coiffes arasées, mors partiellement fendus et frottés, coins frottés.